Made in USA
L’adoption du mot anglais PITCH plutôt qu’un équivalent français s’explique par plusieurs facteurs sociaux, économiques, linguistiques et culturels (pour ne par dire philo-psychologique).
Le Prestige et l’Hégémonie Culturelle Anglo-Saxonne
- Start-ups : La culture du « pitch » est née aux États-Unis, dans l’écosystème des venture capitalists (investisseurs). Les entrepreneurs français qui revenaient de la Silicon Valley ont importé le terme avec la pratique.
- Hollywood : Le système des studios, où les scénaristes « pitchent » leurs idées en quelques minutes, est le modèle mondial.
- L’anglais comme langue du « business », de l’ « entertainment » et de l’efficacité. Les gourous du business et de la communication anglo-saxonne ont popularisé le concept via des conférences (type TED Talks), « podcasts », « best-sellers », médias spécialisés (TechCrunch, Wired, FastCompany…) et réseaux sociaux professionnels (LinkedIn)
Nous n’avons pas inventé l’objet, donc nous avons importé le mot avec l’usage, comme nous avons importé brief, workshop, feedback, brainstorm ou challenge.
Chaque mot amène une pratique que nous n’avions pas formalisée de cette façon. Nous avons importé la méthode avec la langue.
Le Vide Sémantique : Aucun Mot Français Ne Couvrait Exactement le Concept
Les mots français existants étaient soit trop larges, soit connotés différemment – argumentaire, résumé, présentation, plaidoirie, synopsis, accroche…
Imaginez dire : « Fais-moi un argumentaire persuasif synthétique et percutant en 90 secondes. » contre « Fais-moi ton pitch. » La Commission d’enrichissement de la langue française a bien proposé le terme « argumentaire éclair » (équivalent d’elevator pitch), mais il est rarement utilisé car il est moins évocateur et perçu comme administratif.
PITCH est arrivé et a rempli ce vide conceptuel en désignant précisément la performance orale courte, structurée et persuasive. Un mot court, « punchy », « action-oriented ». Il sonne comme ce qu’il décrit : rapide, net, ciblé.
Le français a importé le mot – parce qu’il manquait l’idée – et l’état d’esprit, pas seulement le sens ou le vocabulaire.
| notion | français avant “pitch” | pitch |
|---|---|---|
| brièveté | ça peut être court ou long | court par nature |
| intention persuasive | présent parfois | toujours présent |
| oralité + performance | rarement implicite | central |
| orientation public/investisseur/producteur | pas spécifique | ADN du pitch |
La Richesse du Mot Anglais
Le mot « pitch » en anglais est visuel et métaphoriquement puissant, porteur de plusieurs sens qui convergent, ce qui a séduit les francophones :
- Métaphore du sport (baseball) : « Pitcher une idée », c’est la lancer avec force et précision vers son auditoire (le « catcher »). Cette image est immédiatement compréhensible et dynamique.
- Métaphore de la musique : un bon pitch a le ton juste, il est accordé à son public. Cette nuance de justesse et d’harmonie est précieuse. Pitcher, c’est trouver sa voix.
- Un mot court, percutant, facile à dire : « Pitch » est monosyllabique et percutant à l’oral. « Argumentaire persuasif de présentation orale synthétique » est évidemment moins pratique !
PITCH permet de prendre conscience que le français a du mal à nommer l’action performative car notre culture privilégie historiquement :
• l’écrit plus que l’oral
• la démonstration plus que l’impact
• la forme complète plus que la synthèse
• la pensée avant l’action
Or PITCH inverse tout : faire & dire ➝ en peu de temps ➝ pour convaincre ➝ essentiel / point de départ / incomplet / collaboration. D’ailleurs, c’est un nom mais surtout un verbe !
Ce n’est pas juste un mot étranger, c’est une contre-culture par rapport au modèle français traditionnel. Le mot transporte une posture mentale – vitesse + impact + persuasion.- que le français n’avait pas synthétisée.
Cela nous semble soulever une question, presque philosophique : avons-nous adopté pitch pour combler un manque linguistique, ou pour importer une nouvelle manière d’agir dans le monde ?
